C’est au milieu du désert d’Arizona à Tucson que deux fois par an depuis 65 ans que les acheteurs, les collectionneurs, dealers de pierre et marques de joaillerie du monde entier se retrouvent pour essayer de mettre la main sur les plus belles pierres de couleur du monde. D’autre viennent chercher l’inspiration, s’énergiser ou encore s’approvisionner en fossiles ou minéraux. Retour en images et anecdotes sur un des salons joailliers les plus inspirants que j’ai eu la chance de faire jusqu’à ce jour.
Au sortir d’un salon horloger plongé dans le froid polaire d’un mois de Janvier suivi d’une Fashion Week parisienne sous une pluie battante, c’est avec autant de fatigue que d’excitation que j’ai embarqué pour un vol de 11 heures avec escales direction Tucson au coeur de l’Arizona.
Connue pour ses cactus, son observatoire et son cimetière d’avions, cette petite ville de 500’000 habitants se retrouve tous les ans, au mois ce février, envahie d’acheteurs et de vendeurs du monde entier à la recherche de gemmes parfois aussi introuvables qu’inestimables : pierres précieuses, fines ou ornementales mais aussi fossiles, minéraux ou géodes éparpillés aux quatre coins de la ville. Il faut véritablement le voir pour le croire
Située à deux heures de Phoenix, au sud, la route qui mène à Tucson borde la frontière mexicaine. Décrite comme la Mecque absolue de la pierre, des gemmes ornementales ou semi-précieuses de toutes les couleurs, le Tucson Gem & Jewelry Show arriverait presque à en faire oublier l’existence des quatre pierres précieuses : diamant, saphir, rubis et émeraude. Contrairement aux foires de Bâle, Hong Kong ou Las Vegas où les stands sont relativement bien indiqués et organisés, le Tucson Gem & Jewelry Show ressemble plutôt à un jeu de piste non balisé où il faut faire confiance à son instinct et GPS.
Mon premier stop était « El Pueblo ». Comme son nom espagnol l’indique c’est un petit village où sont regroupées des tentes sous lesquelles on peut trouver quartz, labradorite ou améthyste vendues au kilos, présentés dans des Tupperware géants ou dans des boites en cartons façon récupération post-déménagement. Quelques mètres plus loin, on trouve des animaux voire des pénis sculptés en onyx ou malachite ou encore des huiles essentielles énergisantes avec les pierres correspondantes aux énergies des chakras, des tables basses en agate couverte de nacre, des cristaux en tout genre et si on aborde le sujet « birthstone » préparez-vous à sortir une tente pour camper la nuit. Heureusement que DHL charge 200$ le kilo et que je ne voyage qu’en valise cabine sinon ca aurait été compliqié de négocier avec Air France pour justifier l’importation de ces gros cailloux.
Deuxième Stop : LE J.O.G.G.S. Une sorte de dôme géant situé entre un In’&’Out (meilleur burger de la côte Ouest ) et un Subway (pire sandwhish au monde) … en d’autres termes : Welcome to America. Dès l’entrée du show, il est compliqué de se repérer dans ces allées qui n’en sont pas vraiment. Un vendeur de fermoirs en argent avoisine la table d’un vendeur spécialisé en boules d’ambre en face de laquelle un indien propose son liquide miracle pour nettyoer les bijoux. Je finis par mettre un pied dans ce que l’on pourrait décrire comme le paradis de la turquoise où plus de 75 variétés sont regroupées sur une même table : taillées, facetées, rangées par mine, classées par couleur, par carat, par coupe et ce négligemment posées sur des plateaux parmi lesquels il faut « choisir ». Faut-il avoir un budget ? Absolument pas ! votre œil peut s’arreter sur une pierre qui, pesée, vous coutera 10$ ou 150$. Quoi qu’il advienne, impossible de repartir les mains vides.
Troisième Stop : le Motel 66. Le cliché à l’Américaine dans toute sa splendeur. Tout ce que l’on imagine du motel sur le bord de la route avec les portes qui grincent, les toilettes dans le couloir à coté du distributeur à glaçons sous le néon de l’enseigne qui grésille. Et pourtant, j’avais l’impression d’être Alice au Pays des Merveilles à l’instant même où elle tombe dans le terrier. Au hasard, je choisis la chambre 274 et passe la porte. Sur la droite, une vue directe sur la salle de bain avec rideau de douche en plastique, une trousse de toilette sur le rebors du lavabo et un pyjama suspendu, visiblement celui de l’occupant. Sur le sol, une valise ouverte et des chaussures partout. Me serais-je tromper d’endroit ? Pas vraiment. Sur le lit, sur le bureau, la table de nuit … chaque centimètre carré de cette chambre est recouverte de pierres, de boites, de cartons, de ziploc bags remplis de gemmes. Et c’est comme cela dans toutes les chambres. A chacune sa spécialité, son histoire, son origine. Je ne sais plus où donner de la tete. La porte traversante de la chambre donne sur le « jardin » du motel alors pris d’assaut par des tables en plastique de campings ou jonchent des dizaines de milliers de pierres : brutes, taillées, polies, perçées, montées. Bref, il faut que je sorte de là.
Ce n’est qu’une fois rentrée dans mon Airbnb, allongée sur le lit et passant en revue les 846 photos prises en quelques heures que je me rends compte de l’absurdité de cet endroit. Comment est-ce possible de ne pas en avoir entendu plus parler ? Comment ne pas y avoir été avant ? Pas besoin d’être gemmologue, journaliste ou amateur de pierres pour apprécier la beauté de l’endroit, ni l’accès à tout cela qui plus est créé par la Terre.
On passe d’une tente sur un parking à une chambre de motel pour découvrir des gemmes de couleurs dont on ignorait l’existence. Posés nonchalamment sur de vieilles tables pliantes en plastique, les rangs d’opales de feu s’empilent sur des rangs d’aigue-marines cristallines qui sont enfilées sur des fils de coton prêts à céder, tout en cognant des amethystes facettées. Bienvenue au pays des merveilles, sans Alice pour vous y guider.
Après 48 heures en roue libre à essayer de calmer mes ardeur d’achat, j’ai eu la chance de passer les 48 suivantes avec des pointures de cette industrie notamment Robert Procop et Stephen Silver qui ont fait de mon voyage aux pays des merveilles un accès direct à la caverne d’Ali Baba.
Dix-huit mois plus tard, Maison Romae voyait le jour …